Discours dissonants
Les 4 derniers articles que nous vous avons proposés sur le fil de discussion de Changement de Cap prennent appui sur Le Bug Humain de Sébastien Bohler. Certains de nos lecteurs nous ont rapporté les critiques qui sont faites à cet ouvrage et à son auteur. Notamment, nous avons retenu l’article de Thibault Gardette sur bonpote.com.
La lecture de cet article est passionnante et relève de nombreuses critiques tout à fait justifiées à opposer au livre de Sébastien Bohler et notamment
- le côté réducteur et simplificateur de l’auteur (plus habitué au style journalistique que scientifique) et
- son approche purement individualiste et ethnocentrique qui occulte les questions sociologiques qui constituent un angle d’approche très complémentaire.
Pour voir les critiques de Thibault Gardette, lisez son article et suivons son travail de réflexion. Mais poursuivons quelques instants ici le processus qui nous pousse à nous intéresser tout à la fois à Bohler et à Gardette et qui relève trois bonnes pratiques face à l’information :
Thibault Gardette nous dit que l’un des problèmes du Bug Humain est de fournir une explication évolutionniste (face auquel évidemment nous ne pouvons rien faire à notre niveau individuel) et de pousser ainsi au statu quo. Si notre cerveau est conçu pour surconsommer et ne pas tenir compte des alertes que nous envoie le réel, les dés sont jetés, nous n’y pouvons rien … Continuons à acheter frénétiquement sur les grandes enseignes en ligne ! A cette critique, nous proposons d’opposer une première proposition d’hygiène de lecture : prenons dans chaque lecture des informations et des idées, mais ne faisons pas nôtres les conclusions d’un auteur. Telle la beauté qui se révèle dans le regard de celui qui regarde ; la conclusion est à voir dans l’esprit de celui qui lit et non celui qui écrit. J’ai lu Sébastien Bohler en cherchant comment dépasser mes réflexes animaux ; peu importe la façon dont l’auteur a voulu (ou non) nous acculer à une vision évolutionniste sans possibilité de dépassement. Si je prends cet ouvrage (comme un autre d’ailleurs) comme excuse pour me dédouaner et me pousser à ne rien changer à ma façon de vivre, c’est bien à moi-même que je dois en vouloir et non pas à l’ouvrage de Sébastien Bohler … j’aurais trouvé dans tout ouvrage la phrase me permettant de garder bonne conscience et de faire le moins d’effort possible.
Il est reproché également à Sébastien Bohler d’être catégorique et simplificateur et pour un scientifique qui lit cet ouvrage, de nombreuses approximations et le manque de précautions dans l’enchaînement des causes et des conséquences est assez dérangeant. Pourtant, un éclairage sur ce point nous rappelle la nécessité de considérer tout discours à la lumière de l’histoire de celui qui le prononce. Dans ses cours de Contre-histoire de la philosophie, Michel Onfray prenait un temps certain à décrire la trajectoire de vie et de pensée de tout philosophe avant de présenter sa pensée. Cette bonne habitude devrait nous inspirer face à tout écrit ou tout discours. Sébastien Bohler a une formation scientifique poussée mais la met au service du journalisme scientifique depuis fort longtemps. Pas étonnant dès lors qu’il ait perdu les précautions maniaques des chercheurs et que son ton soit plus direct, simplificateur et parfois sentencieux. A nous, lecteur, de mesurer l’impact de son discours sur notre propre réflexion.
Enfin, prenons appui sur ces deux lectures, non pas pour nous habituer à trouver LE bon auteur, celui auquel nous n’aurions rien à reprocher, mais plutôt à chercher à croiser nos sources … encore et toujours s’appuyer sur des informations venues de tout bord, prises avec recul et réflexion, les croisant et recroisant. Ne cherchons pas dans nos lectures la confirmation de nos convictions mais plutôt le « poil à gratter » qui va nous pousser à chercher plus loin.
Le changement de Cap ne se fera pas seul, nous devrons y mettre de la bonne volonté, du dépassement de soi, du courage et de la réflexion. La réflexion la plus performante – sur ce sujet qui s’avère aride et complexe – sera ponctuée de prise de recul, de mise en perspective et de croisements de regards différents voire discordants et dissonants.
A nous de prendre dès maintenant les bonnes habitudes de réflexion nécessaires à notre Changement de Cap collectif.