Le jour du dépassement
Dans son premier chapitre de « Le Bug Humain », Sébastien Bohler traite du jour du dépassement (earth overshoot day en anglais). Vous savez, cette date à laquelle les scientifiques estiment que l’humanité a consommé plus de ressources que la Terre ne peut en régénérer en une année. En 2020, aidés par l’arrêt de nombreuses activités humaines durant le confinement généralisé, cette date a été établie au 22 août, un peu plus tard que les années qui viennent de s’écouler mais malgré tout bien antérieure au 31 décembre. Ce qui revient à dire que durant 4 mois, de fin août à décembre, nous puisons dans des réserves que nous ne pourrons jamais reconstituer.
En reprenant de nombreux exemples variés, depuis les acariens jusqu’aux Akkadiens (il y a environ 2400 ans) qui ont repoussé des limites physiques par leur inventivité avant de malgré tout disparaître, l’auteur nous rappelle que cette question des limites des réserves n’est pas nouvelle et que de nombreuses espèces ont eu du mal à y apporter une réponse satisfaisante. Cette question est délicate car elle s’apparente à celle de la capacité porteuse de la Terre. Pour faire simple, la capacité porteuse de notre terre correspond au nombre maximum d’individus que cet écosystème peut tolérer. Et si nous dépassons la date limite de nos réserves, nous pouvons également dire que nous sommes trop nombreux sur Terre … Pas étonnant dès lors que notre inconscient fait absolument tout pour repousser cette information.
Au-delà de ce constat délicat, et douloureux, d’incapacité, que pouvons-nous apporter en tant que coach comme réponse – ou début de réponse – à cette problématique ? Quels bons conseils opposer à ce couperet dans le calendrier et tout ce qu’il dit de notre futur ?
Tout d’abord, un élément de bon sens : que diriez-vous à un ami qui arrive toujours au moment du dessert, à un lycéen qui se rend compte qu’il a une évaluation le matin même de celle-ci ou à un salarié qui arrive 5 minutes après le début de chaque réunion ? Anticipe, prépare-toi, mets cette deadline dans ton agenda bon sang !! Et pour cause : que nous apporte une échéance qu’on ne peut anticiper, qu’on ne peut garder en ligne de mire pour se préparer (au mieux), pour se rendre compte qu’elle approche (au pire) ? Ce jour du dépassement, au passage très largement critiqué aujourd’hui, était un excellent signal d’alarme de l’état de la terre lorsqu’il a été créé par l’ONG Global Footprint Network à la fin des années 80. Cependant, aujourd’hui il tombe un peu comme un « couperet » et amène angoisse et attitude catastrophiste le jour de son annonce … et sans doute pas grand-chose de plus. On peut espérer que dans les mois-années qui viennent, Global Footprint Network ou une autre ONG nous apporte un « tableau de bord » plus élaboré mis à jour plus régulièrement qui nous permettrait non seulement d’anticiper le jour du dépassement mais surtout d’avoir au quotidien une attitude proactive pour tenter de le repousser. Bien sûr, on peut faire individuellement un bilan (bilan carbone par exemple sur www.goodplanet.org )… mais si le jour du dépassement est annoncé collectivement (au journal de 20 heures) pourquoi ne pas avoir une rubrique en ce sens au quotidien pour que nous chassions collectivement les mauvais usages ? Nous avons, pour beaucoup, la capacité à gérer différemment nos ressources mais pourquoi le ferions-nous tant que nous pensons utopiquement qu’elles sont inépuisables. Nous gérons tous des budgets, depuis l’argent de poche quand nous sommes adolescents jusqu’à des sommes colossales pour ceux dont c’est le métier en entreprise ou dans des collectivités en passant par nos budgets familiaux plus accessibles. Nous gérons tous un « placard à vivres » au quotidien et avons parfois dû « jouer plus serré » en gérant par exemple les vivres lors d’une ascension en montagne, dans une longue randonnée ou lors de moments plus durs économiquement. Dans tous les cas de figure, la première chose que nous faisons est de prendre état des ressources disponibles et du temps qu’elles doivent nous aider à tenir. Ces sont les étapes indispensables avant de diviser les ressources en portion et de consommer de manière responsable. Notre humanité est à ce tournant délicat d’état des lieux. A nous de trouver les moyens de piloter « serré » notre budget-ressources énergétiques et notre budget-ressources naturelles. Et de notre côté, nous aimerions que cela soit vécu comme une entreprise collective de coopération à l’échelle de la planète.
En attendant cette révolution culturelle, des changements individuels peuvent être réalisés par chacun d’entre nous. Ils ne constituent pas un moyen « magique » de nous prémunir contre les catastrophes, ni même un moyen d’action pour nous aider à y faire face. Par contre, nous pouvons au jour le jour œuvrer pour que notre esprit soit, à l’opposé de ce que Sébastien Bohler nous annonce, plus à même de prendre en compte les changements climatiques et leurs conséquences. Notre conscience éclairée sur les enjeux pour notre espèce, nous pouvons sans doute tenter de renverser la vapeur dans nos cerveaux respectifs pour qu’ils soient à même d’envisager de nouveaux possibles et surtout de mettre en place de nouveaux patterns de pensée indispensables à un choc moins fracassant.
Tout d’abord, nous avons de nombreux moyens de nous réaligner avec des échelles de temps plus longues, d’anticiper des changements à échéance plus tardive. Nous sommes envahis de pression temporelle courte : messages virtuels, séries télévisées, réponses à donner rapidement, to do list sur la journée, plan de carrière à 3 ans voire moins … Il n’est sans doute pas question pour beaucoup d’entre de nous retirer du monde ultra-rapide et ultra-connecté dans lequel nous vivons, mais nous pouvons ajouter du « long-terme » à notre mode de fonctionnement pour (ré) apprendre à notre cerveau à l’envisager. Réapprenons à lire de bons romans jugés aujourd’hui un peu « lent », réalignons-nous avec les cycles de la nature tant dans notre rapport à l’extérieur que dans notre assiette, retrouvons le plaisir ralenti de l’écriture manuscrite. Retrouvons les lignes du temps sur plusieurs décennies … Explorons notre passé sur les 3-4-5 … décennies qui se sont écoulées depuis notre naissance. Non pas dans un exercice nombriliste mais pour nous réapproprier le temps qui passe … à son rythme. Envisageons notre futur sur les 3-4-5 décennies qui viennent, non dans une course effrénée contre les effets du vieillissement mais pour nous approprier ces durées de temps, naturelles mais que nous évitons en général. Prenons garde à ce que ces temps courts, qui poussent à la réaction immédiate et sans précaution amènent, parmi d’autres choses, une très mauvaise gestion de nos ressources. L’usage des mails, textos, whatsapp et autres sont ultra consommateurs d’énergie (énergie vitale de celui qui transmets, énergie de celui qui reçoit, sursollicité, énergie de la terre).
Ceci nous amène naturellement à la question des ressources (énergie – vivres – matières premières). A notre petite échelle, contribuer à repousser le jour du dépassement, c’est également moins consommer et mieux utiliser ce que nous consommons. De nombreuses personnes font l’effort d’acheter mieux et moins, de manger, de vivre plus frugal et de réduire leur impact. C’est d’autant plus admirable que c’est souvent par la seule volonté qu’ils y arrivent. Pour ceux d’entre nous qui ont déjà essayé et ne s’y sont pas tenus ou qui n’imaginent pas la « restriction » comme un mode de vie volontaire, trouvons des moyens d’apprivoiser le manque. A quoi ressemble la faim (même légère), la soif, le manque de sommeil décidé (non contraint ou pour faire autre chose) … quel plaisir éprouvons-nous quand nous avons patienté pour obtenir quelque chose ? Quelle joie vécue lorsque nous retrouvons quelqu’un perdu de vue depuis longtemps ? Vous pensez connaître ces situations par cœur ??? Oui peut-être mais quand nous interrogeons nos clients sur leur rapport au manque, bien souvent ils ne l’explorent pas et se détournent rapidement de la question … Ils essaient de se débarrasser très vite des émotions négatives qu’elle engendre et vivent le « ravitaillement » comme un soulagement du manque et non pas dans son aspect positif. En somme, le manque est vécu négativement et le retour au plein est vécu comme la norme .. Autant dire que dans ces conditions on ne peut, comme le rappelle Sébastien Bohler, que chercher à consommer, encore et encore, toujours plus pour éviter le manque à tout prix. Faire du manque notre camarade de route, en douceur, sans le craindre d’autant plus que la grande majorité des personnes qui liront cet article ont (pour l’instant encore) les ressources pour le combler. Savourons aussi le ravitaillement et les plaisirs non essentiels. Si je prends une demi-tablette de chocolat, j’éprouve un plaisir intense mais court (et souvent teinté de culpabilité d’ailleurs). Je consomme non pour combler le manque mais par habitude, gourmandise, sans savourer ni réfléchir. Quand je prends un carré d’un très bon chocolat, en conscience et dans le calme, quand je pratique la gratitude : que je pense à la terre qui a porté la cacaoyer, à cet arbre et la patience de tout un écosystème pour qu’il donne des fèves, aux hommes ou femmes qui ont cueilli et torréfié le cacao puis aux hommes et femmes qui ont fait de cette matière amère un chocolat d’une douceur incomparable, j’éprouve un plaisir gustatif assorti d’une profonde gratitude . Et un carré me suffit …
Nous sommes persuadés que vous avez tous des métaphores qui illustrent la façon de consommer de façon juste et équilibrée ainsi que des plaisirs rares au-delà du carré de chocolat. Laissez-vous inspirer et aller au-delà des lignes ci-dessus et partagez avec nous en commentaires vos idées, inspirations, souhaits et engagements.
Cathy Lemer et Quoin-Lan Polaillon