Notre cerveau responsable de la catastrophe écologique ?
S’il y a une idée que je dois retenir du livre « le Bug humain » de Sébastien Bohler c’est celle-ci : le fonctionnement de notre cerveau est à la source de nombreux maux de notre société (surconsommation, obésité, addiction, …) et pour prendre une trajectoire plus écologique nous devons ré éduquer nos cerveaux.
De nombreuses études (plus de 300) réalisées ces dernières années montrent que tout partirait du cerveau et plus précisément du striatum. Cette structure profondément enfouie située à la jonction entre le cerveau et la moelle épinière, a pour fonction d’envoyer de la dopamine (et donc de nous procurer une sensation de plaisir) à chaque fois que nos actions renforcent nos 5 instincts fondamentaux : manger, se reproduire, acquérir du pouvoir, collecter des informations et ce avec un moindre effort.
Ces mécanismes se sont développés il y a des milliers d’années et ont été très utiles pour la survie des hommes qui vivaient dans un milieu hostile et dangereux, mais aujourd’hui dans notre société industrielle, ce système de récompense n’est plus adapté. Nous sommes devenus accrocs aux gratifications instantanées et, sans vraiment en avoir conscience, une grande partie de nos actes aujourd’hui ne répondent pas à un besoin de survie, mais sont simplement des moyens pour avoir notre « dose » de dopamine. L’autre problème du striatum, c’est qu’il nous programme pour avoir toujours plus : au premier « like », vous aurez une dose, mais au prochain post, le striatum ne libèrera de dopamine que si celui-ci recueille plus de like que le précédent. Ce mécanisme nous pousse ainsi à chaque fois à chercher plus de « like ».
Un striatum ainsi programmé serait sans doute moins redoutable s’il n’était accompagné d’un cortex si développé. Celui-ci, au-delà des merveilles qu’il nous a permis d’accomplir, s’est mis au service de notre striatum, développant des technologies adhoc à nos besoins jamais assouvis (agriculture intensive, OGM, élevage en batterie, smartphones, internet …).
Sachant cela, vous faites certainement le lien avec nos envies/compulsions à manger alors que nous n’avons pas faim, à swiper nos téléphones à l’affût de la moindre notification, … et à une échelle plus macroscopique à la surconsommation et par voie de conséquence à la destruction de l’environnement.
Depuis quelques années déjà, les informations relatives à l’état du monde sont largement diffusées. Néanmoins, les sceptiques mis à part, la plupart des personnes comme vous et moi ne dirigent pas encore 100% de leur énergie pour enrayer le réchauffement climatique. Ce sont de petits conflits dont nous sommes nombreux à faire l’expérience: se déplacer exclusivement à vélo ou en transports en commun, trier scrupuleusement ses déchets, puis se payer un steak tous les deux jours, des vacances à l’autre bout du monde et aller skier sur un glacier en recul. Et nos cerveaux inventent des justifications qui nous semblent pleines de sens : « il faut bien vivre », «et le plaisir dans tout ça ?! », « j’achète écoresponsable, ça compense » … Je suis certaines que vous avez aussi vos perles.
Tous les signaux de la planète sont au rouge et notre conscience souhaite de tout cœur renverser la tendance. Pourquoi, dès lors, est-il si difficile de prendre des décisions cohérentes ?
Nos cerveaux se sont habitués à recevoir ces doses de dopamine et il y a un conflit cognitif entre notre rationnel qui dit « il ne faut plus polluer » et notre système de récompense qui nous incite à acheter une nouvelle voiture, sac à main, vêtement… Et comme nous valorisons davantage le plaisir immédiat, manger un bon steak saignant passe parfois avant nos bonnes intentions écologiques. Surtout que le cerveau sait se fabriquer un rationnel « ça fait 3 jours que je n’en ai pas mangé » !
Nous sommes des êtres hautement intelligents, mais avons finalement un faible niveau de conscience. Nous avons déjà évoqué dans un article précédent les bénéfices de la méditation et du rapport au temps long.
En tant que coach, nous le voyons souvent dans nos accompagnements, dès que la prise de conscience s’effectue, la mise en mouvement suit naturellement. Nous ne donnerons par conséquent pas par la suite une liste de solutions. En revanche, sur la base de notre connaissance des mécanismes psychologiques humains, nous partageons avec vous quelques pistes qui nous l’espérons ouvrirons votre champ de conscience.
La théorie de Sébastien Bohler nous amène à penser que pour encourager les gens à agir en faveur de l’environnement, il faudrait leur donner la possibilité de se sentir récompensés sur le court-terme pour leurs actions.
L’un des 5 besoins fondamentaux pour lequel le Striatum nous récompense est le statut social. Depuis la nuit des temps, l’homme lutte pour se hisser dans la hiérarchie du groupe d’individus au sein duquel il vit. C’est pour cette raison que rouler dans une voiture rutilante en ville à la vue de tous apporte (à certain.e.s) du bonheur, comme être promu au sein d’une entreprise. Pour que notre comportement en faveur de l’environnement active la zone de la récompense de notre cerveau, il faut donc que nos actes soient valorisés socialement. Par conséquent, renverser certaines valeurs pour que celles en faveur de l’écologie deviennent reconnues, voire valorisées socialement, permettrait à notre cerveau de sortir du conflit cognitif et favoriserait des comportements écologiques. Si au niveau de la société au lieu de valoriser le fait « d’être à la mode », nous valorisons « la recup’ » nous achèterions moins et réduirions significativement la pollution créée par l’industrie textile (qui est la 2è industrie la plus polluante au monde).
Vous l’aurez compris, cette « solution » ne fonctionnera que si collectivement nous adoptons et valorisons des valeurs éco responsables. La beauté de la chose est que nous avons tous un rôle à jouer en tant que parent, en tant de citoyen, en tant qu’ami etc., ensemble valorisons les actions éco responsables que nous observons ! Alors que nous subissons et peinons à échapper au conditionnement publicitaire (qui promeut la consommation comme style de vie), l’émancipation (partielle) suppose un éveil intérieur et ne sera tenable sur le long-terme que grâce à un engagement courageux encouragé par nos pairs.
Mettre à l’honneur des acteurs du changement locaux apporte par ailleurs le bénéfice de réduire la distanciation de notre rapport à l’urgence écologique. En effet, nous pouvons être touchés par des photos d’ours polaires, et même temps, ces préoccupations sont trop lointaines pour la plupart des personnes pour les inciter au changement. Nous sommes davantage inspirés par des exemples au sein de nos communautés qui transforment et œuvrent pour notre environnement à proximité. Plus nous aurons de « héros » locaux, plus nous serons nombreux à passer à l’action, et ainsi de suite.
Ce principe, la ville de Lahti en Finlande l’a bien compris en récompensant les éco citoyens. La ville crée une app qui permet à chaque utilisateur de se voir allouer un « budget » carbone pour ses déplacements et de le suivre au fil de la semaine. Si le budget n’est pas entièrement écoulé, le reste est converti en « euros virtuels » utilisables dans des infrastructures de la ville. Vous pouvez en savoir plus dans ce post.
Le renversement des valeurs passe également par l’éducation. En effet, si dans nos civilisations occidentales, le statut social passe par plus de richesse, dans certaines civilisations, le statut social s’accroit pour celui qui donne. Des études d’anthropologie ont décrit des peuples en Amazonie où l’individu dans le clan était valorisé non par ce qu’il possédait, mais par ce qu’il donnait (Ricardo Godoy et al., « Signaling by Consumption in a Native Amazonian Society », in Evolution and Human Behavior, vol. 28, 2007). Plus vous donnez, plus vous êtes valorisé. C’est également ce qui ressort des études d’imagerie cérébrale comparant les hommes et les femmes. Elles montrent, par exemple, que les petites filles à qui l’on apprend à partager vont avoir du statut social associé au fait de donner. Donc c’est quelque chose qu’on peut voir à la fois chez les peuples racines et chez des petites filles qu’on éduque au fait avoir de l’empathie et de la sollicitude. Agir pour l’environnement c’est donc aussi transmettre à nos enfants des valeurs qui vont dans le sens de l’écologie.
Ayant accompagné en coaching des jeunes, je fais le lien entre ce sujet sur le système de récompense et la question de la motivation. Deci et Ryan (2002), présentent une théorie de la motivation qui distingue deux types de motivation :
– La motivation intrinsèque : l’action est conduite uniquement par l’intérêt et le plaisir que l’individu trouve à l’action, sans attente de récompense externe.
– La motivation extrinsèque : l’action est provoquée par une circonstance extérieure à l’individu (punition, récompense, pression sociale, obtention de l’approbation d’une personne tierce…).
Ces deux types de motivations sont complétés par un troisième état : l’amotivation
– L’amotivation : l’individu a le sentiment d’être soumis à des facteurs hors de tout contrôle. L’amotivation se distingue de la motivation extrinsèque par l’absence de motivation liée au sentiment de ne plus être capable de prévoir les conséquences de ses actions.
Les études en psychologie (notamment sur la motivation scolaire) montrent que la motivation intrinsèque est plus pérenne, plus résiliente face à l’adversité. Ramené aux comportements en faveur d’un monde plus écologique, il me semble intéressant de s’interroger sur notre type de motivation et autant que possible activer notre motivation intrinsèque, c’est-à-dire trouver du sens, du plaisir à nos actions. Cela passe souvent par des actions en lien avec nos valeurs profondes. La plupart des actions que nous pouvons mener à l’échelle individuelle ne vont pas nous sortir de l’urgence écologique et certains peuvent face à la grandeur de tâche, se sentir impuissants. Le lien avec nos valeurs, ce qui est essentiel pour nous, peut nous permettre de trouver la force voire même du plaisir à « faire notre part » sur la durée peu importe les comportements et les opinions des autres.
Pour avoir une chance de faire bouger les comportements individuels, il faut également reconnecter les citoyens à la faune et à la flore. Nous nous sommes extraits du système nature. Nous n’y sommes plus confrontés. Ce n’est pas en construisant un mur végétal par-ci par-là, que l’on va se la réapproprier. Il faut quelque chose qui ait plus d’impact dans le rapport à la nature des gens, comme un potager dont on s’occupe et surveille les petits progrès. Ce point est je trouve d’autant plus important pour les jeunes générations. Confrontés à l’instantanéité et déconnectés (pour ceux qui vivent en ville) de la nature, de ses cycles, de ses lois, ils auront du mal à « ressentir » leur lien au Monde. Si l’on souhaite que nos enfants soient en capacité d’être des citoyens respectueux du Monde, nous devons nous assurer non seulement qu’ils le comprennent (par exemple en leur apprenant comment fonctionne la chaîne alimentaire), nous devons aussi leur faire prendre conscience, leur faire vivre la nature pour qu’ils ressentent qu’ils en font partie.
Le défi est grand, notre cerveau est mal programmé, mais la fin d’un monde ne veut pas dire la fin du monde. A nous de faire grandir notre conscience pour retrouver du sens, de l’espoir et avancer avec audace vers de le monde de demain.